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À Rebours : Le livre-cabinet de curiosités, bréviaire de la décadence
Il est des livres qui sont des poisons. Des ouvrages que l’on ouvre avec une curiosité mêlée d’appréhension, sentant que leur lecture ne nous laissera pas indemnes. À Rebours de Joris-Karl Huysmans, publié en 1884, est le plus exquis de ces poisons littéraires. Il n’est pas un roman, il est un symptôme. Il n’a pas de véritable intrigue, il est un catalogue. C’est le bréviaire de celui qui a décidé que la Nature est une erreur de goût et que l’Artifice est le seul refuge digne de ce nom.
Le livre nous invite dans l’esprit malade et raffiné de son unique personnage, le duc Jean Floressas des Esseintes, dernier rejeton d’une lignée épuisée. Dégoûté par la platitude de la société et la vulgarité du monde naturel, il se retire du monde dans une maison à Fontenay-aux-Roses, non pour y vivre, mais pour y orchestrer une symphonie de sensations artificielles. Sa demeure n’est pas une maison, c’est le cabinet de curiosités ultime, un laboratoire où le réel est méticuleusement disséqué, rejeté et réinventé.
La Collection comme Forteresse du Goût
Chez Des Esseintes, tout est collection, tout est choix, tout est une négation du hasard. Chaque pièce de sa « thébaïde raffinée » est une vitrine de son obsession.
- Les Joyaux Vivants : L’épisode le plus célèbre reste celui de la tortue. Jugeant la carapace de l’animal trop terne, il la fait dorer puis incruster de pierres précieuses pour qu’elle s’harmonise avec ses tapis. Transformée en bijou mobile, la tortue, écrasée sous le poids de cet artifice, meurt. La morale est implacable : le vivant ne peut survivre à l’idéal esthétique.
- L’Orgue à Parfums : Des Esseintes ne se parfume pas, il compose. Il a conçu un « orgue à bouches » où chaque flacon correspond à une note olfactive, lui permettant de créer des « symphonies de senteurs », d’évoquer des paysages ou des états d’âme par la seule combinaison des fragrances. C’est l’art de la synesthésie poussé à son paroxysme.
- L’Herbier Monstrueux : Loin des fleurs des champs, il collectionne les plantes les plus étranges, les plus carnivores, celles qui semblent malades ou artificielles. Il chérit les Caladiums aux feuillages « rongés par la syphilis ou la lèpre », les Cypripediums qui évoquent des « sabots de femme ». Il ne veut pas de la nature, il veut que la nature imite l’art, le morbide, le bizarre.
La Nature, cette vieille ennemie
La philosophie d’ À Rebours est un anti-naturalisme radical. Pour Des Esseintes, la nature « a fait son temps ». Elle est répétitive, limitée, et son charme supposé n’est accessible qu’aux imaginations triviales. L’Artifice, lui, est infini, précis, et entièrement soumis à la volonté de l’esthète.
C’est le contrepoint absolu à la cabane de Thoreau au bord de l’étang de Walden. Là où l’Américain cherchait à « sucer la moelle de la vie » en s’immergeant dans le réel, le Français tente de s’en extraire en construisant une matrice sensorielle entièrement contrôlée. Le premier élague sa vie pour trouver l’essentiel ; le second la sature d’artifices pour fuir le vide. Deux retraits du monde, deux philosophies diamétralement opposées qui hantent encore notre rapport à l’authenticité et à la technologie.
L’Échec comme Œuvre d’Art
Mais cette tentative prométhéenne de recréer le monde est vouée à l’échec. Le système nerveux de Des Esseintes finit par lâcher. Les hallucinations le guettent, son corps refuse de suivre les délires de son esprit. Ses médecins sont formels : pour survivre, il doit abandonner sa retraite et retourner à Paris, replonger dans la banalité qu’il exècre.
Le livre se clôt sur un cri de désespoir. Mais l’échec de Des Esseintes n’est pas une simple morale. La beauté du projet réside dans sa démesure même, dans sa magnifique impossibilité. À Rebours n’est pas le récit d’une réussite, mais la chronique d’un épuisement sublime, celui d’un homme et d’une civilisation.
Ce livre est une pièce essentielle de notre collection chez Luxuriant.art, car il est le catalogue des possibles d’un esprit qui a choisi le rêve contre la vie, la collection contre le chaos, le poison contre la soupe. Un guide non pas pour vivre, mais pour aiguiser nos perceptions jusqu’à la douleur.
Pour aller plus loin
À lire : Évidemment, À Rebours. Mais aussi la suite du parcours de Huysmans, qui, épuisant l’esthétisme, se tournera vers le satanisme (Là-bas) puis vers un catholicisme fervent (En route), comme s’il cherchait désespérément un cadre pour son âme excessive.
À connecter : Le Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde. Le fameux « livre jaune » qui empoisonne Dorian est directement inspiré d’ À Rebours. On peut aussi remonter à la source : Les Fleurs du Mal de Baudelaire, dont Des Esseintes est un disciple obsessionnel.
À visiter : Le Musée Gustave Moreau à Paris (9e arrondissement). C’est le peintre que Des Esseintes admire par-dessus tout. Visiter son atelier-musée, c’est littéralement entrer dans l’imaginaire visuel du livre, un univers saturé de mythes, de joyaux et de mélancolie.

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